Nos héroïnes, nos racines : celles qu’on a oubliées
Coucou, on espère que vous allez bien aujourd’hui ✨.
Vous le savez peut-être, mais le 10 mai marque chaque année la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition. Une date instituée en 2006, faisant de la France le premier – et encore aujourd’hui le seul – pays en Europe à reconnaître la traite négrière et l’esclavage comme un crime contre l’humanité.
Pour nous, c’est plus qu’une commémoration : c’est un devoir de mémoire, mais aussi un acte politique.
C’est l’occasion de remettre en lumière nos histoires, nos racines, nos résistances, et surtout celles qui, trop souvent, ont été effacées des récits : les femmes noires de la France, esclaves et combattantes, qui ont levé la tête face à l’oppression.
Des femmes qui ont lutté, parfois au péril de leur vie, pour que la liberté ne soit pas un privilège mais un droit.
Aujourd’hui, on vous partage quelques portraits de ces héroïnes trop peu connues, mais dont les noms, les gestes et les silences continuent de résonner dans nos luttes.
À celles qu’on a trop souvent effacées…
Parmi les 15 millions de personnes déportées d’Afrique lors de la traite transatlantique, plus d’un tiers étaient des femmes. Une réalité qu’on oublie encore trop souvent, alors même qu’elles ont vécu la triple peine : celle de l’esclavage, du racisme et du sexisme.
Comme le rappelle le rapport Les esclaves femmes du Nouveau Monde d’Arlette Gautier, dans chaque navire négrier, on trouvait “deux hommes pour une femme”. Ces femmes n’étaient pas seulement réduites à l’état de main-d’œuvre : elles étaient aussi instrumentalisées pour leur ventre.
Les femmes esclaves pendant la traite négrière, du statut d'objet meuble, comme le définissait alors le Code noir de 1685, à celui d'objet sexuel de leur maître. (c) Schomburg Center for Research in Black Culture, New York
Violées, abusées et exploitées, les femmes noires ont été utilisées comme des matrices. Leur corps, marqué par la violence des maîtres, servait à assurer la "repopulation naturelle" des plantations. C’est tout le système esclavagiste qui s’est bâti sur cette domination reproductive, ce pouvoir masculin absolu sur leurs corps. Un ventre transformé en outil de production d’enfants-esclaves.
C’est ce que dénonce l’historienne Françoise Vergès dans Le ventre des femmes, en rappelant que cette logique n’a pas disparu. Dans les années 70 à La Réunion, des milliers de femmes noires et racisées ont encore été stérilisées ou avortées de force, au nom du contrôle de leurs corps. Et si le Code noir de 1685 ne distinguait pas hommes et femmes dans son texte, la réalité coloniale, elle, ne laissait aucun doute : les femmes esclaves subissaient une violence spécifique. Une violence genrée, raciale, souvent tue, toujours intériorisée.
Entre asservissement et résistance : la vie quotidienne des femmes esclaves
Dans les plantations, les femmes noires ne sont pas épargnées. En effet, elles portent les mêmes fardeaux que les hommes : les mêmes tâches physiques, la même cadence, la même brutalité. Enceintes, elles doivent continuer à travailler jusqu’à l’accouchement, et parfois, revenir dès le lendemain. Sinon ? Châtiment.
La malnutrition, la fatigue extrême, l’absence de soins… beaucoup y laissent leur vie.
D'autres, conscientes du sort réservé à leurs enfants, préfèrent avorter. Dans certaines colonies, les taux d’infanticides grimpent, révélant une détresse absolue face à un système qui nie toute humanité à leurs progénitures. Tandis que pour celles qui deviennent mères, le combat continue. Élever des enfants sous l’esclavage tout en servant la maison du maître, tout en subissant insultes, coups, viols – de la part des hommes mais aussi des épouses des propriétaires. Leur corps devient un champ d’exploitation multiple : un outil de travail, un outil sexuel. Leur ventre devient alors un danger, un fantasme.
Et pourtant, malgré tout ça, elles s’organisent, résistant à leur manière.
Source : TV5 monde
Couturières, cuisinières, herboristes, sages-femmes… elles développent des compétences, deviennent indispensables. Certaines parviennent même à créer un semblant de foyer, d'autres vendent au marché ou tiennent une petite échoppe, souvent pour le compte du maître, parfois pour survivre à côté.
Certaines espèrent racheter leur liberté – ou celle de leurs enfants – par un mariage avec un affranchi. D’autres, contraintes, deviennent concubines du maître, cherchant un espoir, une issue, si tant est que le mot "choix" puisse s’appliquer à ces réalités-là.
Mais parmi elles, certaines se dressent. Elles deviennent cheffes spirituelles, guérisseuses, meneuses. Et parfois, elles prennent les armes, en première ligne lors des révoltes. Aux Antilles françaises par exemple, plusieurs femmes esclaves vont jusqu’à intenter des procès, mobilisant l’article du Code Noir pour faire valoir un droit : celui de transmettre la liberté à leurs enfants. Des résistances discrètes, profondes, structurées, avec des actes politiques, au cœur même du système colonial.
Aujourd’hui, nous leur redonnons voix, parce qu’elles ont existé, parce qu’elles ont résisté, et parce qu’elles méritent d’être nommées, entendues, honorées.
Héva — La Réunion
Héva est une figure légendaire de La Réunion, connue pour avoir fui l'esclavage avec son compagnon Anchaing. Ensemble, ils se réfugièrent dans le cirque de Salazie, vivant en liberté loin des plantations. Leur histoire symbolise la résistance des esclaves marrons sur l'île. Une statue en leur honneur se dresse aujourd'hui à Hell-Bourg.
Claire (1700 – 1752) – Guyane
Claire fut une esclave en Guyane au XVIIIe siècle. Avec son compagnon Copéna, elle rejoignit la communauté libre de la Montagne-Plomb. Capturée en 1752, elle fut pendue et étranglée sous les yeux de ses enfants, en guise d'exemple pour dissuader les autres esclaves de fuir. Son courage reste un symbole de la lutte pour la liberté.
Solitude (vers 1772 – 1802) – Guadeloupe
Figure emblématique de la résistance à l'esclavage en Guadeloupe, Solitude, surnommée "La Mulâtresse", a combattu aux côtés de Louis Delgrès contre le rétablissement de l'esclavage par Napoléon Bonaparte en 1802. Capturée alors qu'elle était enceinte, elle fut exécutée le lendemain de son accouchement. Son histoire, longtemps méconnue, est aujourd'hui honorée par des statues et des lieux portant son nom.
Sanité Bélair – Haïti
Soldate de l’armée révolutionnaire haïtienne, Sanité Bélair a combattu aux côtés de son mari contre l’armée napoléonienne pour l’indépendance d’Haïti. Capturée en 1802, elle refuse le bandeau sur les yeux et affronte sa mort debout, fusillée puis décapitée. Aujourd’hui encore, son nom incarne la bravoure des femmes noires dans la lutte pour la liberté. Une guerrière, une vraie.
💬 Et pour prolonger la réflexion, on vous invite à lire aussi l’article “Récits en mutation” écrit par Cynthia sur notre blog. Un texte qui fait écho à cette mémoire trop souvent fragmentée, et qui interroge avec force la manière dont nos histoires, nos luttes et nos identités continuent de se transmettre.
A bientôt !
Absana, chargée de communication