Récits en mutation 

Aux origines de l’humanité : ce que la génétique nous dit

Les recherches en génétique – notamment sur l’ADN mitochondrial et nucléaire – montrent que toutes les populations actuelles descendent d’un groupe ancestral originaire d’Afrique. L’étude de Cann, Stoneking et Wilson (1987) révèle que la plus grande diversité génétique se trouve en Afrique, soutenant ainsi la théorie « Out of Africa ». Selon ces travaux, les Homo sapiens se seraient dispersés il y a environ 60 000 à 70 000 ans, emportant avec eux une part de cette diversité. Les adaptations locales – telles que la variation de la pigmentation ou d’autres traits physiologiques – se sont développées en réponse aux environnements d’accueil, sans modifier significativement la base génétique commune. Le Human Genome Project, ainsi que de nombreuses autres recherches, ont confirmé que la « race » est une construction politico-sociale, et non un fait biologique. 

Le piège racial : quand l’histoire devient instrument de domination

Dès les origines, les humains ont migré, poussés par la quête de nouveaux horizons ou la nécessité de fuir des conflits. Ces mouvements ont favorisé la rencontre entre peuples et la formation d’une mosaïque génétique, façonnée par des alliances commerciales, politiques, culturelles, mais aussi par la violence et l’oppression. Pourtant, au fil des siècles, ces dynamiques ont été simplifiées et instrumentalisées par des idéologies coloniales et raciales, enfermant de nombreux individus dans un gouffre identitaire – ce que l’anthropologie critique nomme "The Race Pit." 

Tomber dans ce piège, c’est adopter des catégories fabriquées pour hiérarchiser et figer l’histoire des peuples.  C’est un enfermement où les catégories raciales définissent ce qui est « authentique », ce qui est « africain » ou « noir », « blanc » ou « occidental », au lieu de s’approprier la pluralité des héritages. 

Esclavage, empire et résistances : les racines profondes des dominations

L’histoire des dominations et de l’esclavage s’étend sur des millénaires et prend des formes diverses selon les contextes économiques, technologiques et culturels. Dès le Néolithique, la sédentarisation favorise l’émergence de sociétés hiérarchisées fondées sur l’exploitation des ressources et de la main-d’œuvre captive. En Afrique, différentes formes de soumission existaient, qu’il s’agisse de prisonniers issus de rivalités locales ou de systèmes de servitude pour dettes. À partir du VIIᵉ siècle, l’essor des réseaux commerciaux transsahariens et maritimes, favorisé par l’expansion des empires musulmans et les dynamiques marchandes régionales, a renforcé le commerce de captifs vers le Maghreb, le Moyen-Orient et l’Asie. Ces formes d’exploitation reposaient principalement sur des rapports de domination sociale et politico-religieux, sans s’appuyer sur une hiérarchisation racialiste de l’humanité. L’ère coloniale, amorcée au XVᵉ siècle et intensifiée au XIXᵉ - soutenue par une idéologie raciale biologisante et le christianisme - porte l’exploitation et la déshumanisation à une échelle industrielle, avec la traite transatlantique et la mise en place de systèmes coloniaux extrêmement brutaux. 

Route commerciale transsaharienne

L’ampleur de la traite transatlantique ne s’explique pas uniquement par la puissance militaire et commerciale des Européens. Leur domination repose aussi sur une exploitation des dynamiques locales : en attisant les rivalités entre royaumes, en manipulant des élites et en s’appuyant sur les ambitions de certains chefs, ils ont transformé un commerce ancien en un système de prédation globalisé. Si certains États africains, comme le Dahomey (actuel Bénin), le royaume d’Oyo (actuel Nigeria) ou des élites côtières du golfe de Guinée et de l’Angola, ont trouvé un intérêt économique dans la traite, d’autres sociétés ont activement tenté de s’y opposer.  

Reines et rois debout : figures de résistances africaines

Dès les premiers contacts avec les Européens, la résistance s’organise face à ces dynamiques de spoliation. Certaines ont mené des guerres pour préserver leur souveraineté, d’autres ont tenté d’imposer des restrictions ou de limiter la traite sur leurs territoires. Au XVIᵉ siècle, au Ndongo (actuel Angola), des souverains comme Kiluange kia Samba s’opposent à la mainmise portugaise sur les routes commerciales et les alliances locales. À la même époque, plus au nord, le royaume du Kongo (actuel Angola, République démocratique du Congo, République du Congo et Gabon) subit l’influence croissante des Portugais. Son roi, Nzinga Mbemba (Afonso I, règne de 1506 à 1543), d’abord allié des Européens, finit par dénoncer l’enlèvement de ses sujets et les ravages causés par la traite sur son royaume. Il adresse plusieurs lettres aux souverains portugais pour tenter de freiner cette exploitation, mais il se heurte à la pression des marchands et aux divisions internes qui affaiblissent son autorité. 

Nzinga Mbemba (Afonso I, règne de 1506 à 1543)

Un siècle plus tard, au XVIIᵉ siècle, la reine Nzinga du Ndongo et Matamba (actuel Angola) mène une résistance acharnée contre les Portugais. Alternant diplomatie, alliances stratégiques et guerre de guérilla, elle parvient à freiner l’expansion esclavagiste et à préserver, un temps, l’indépendance de son royaume. 

Les Khoikhoi et les San d’Afrique australe affrontent dès le XVIIᵉ siècle l’avancée des Hollandais, menant des guerres intermittentes pour préserver leurs terres et modes de vie face aux colons. Ces résistances, souvent effacées des récits dominants, rappellent que la confrontation avec l’Europe ne commence pas avec la colonisation du XIXᵉ siècle, mais bien plus tôt, sous différentes formes. 

Au XVIIIᵉ siècle, dans les territoires Fula (Peuls) du Fouta Toro (actuel nord du Sénégal et sud de la Mauritanie), Abdul Kader Kane interdit la traite négrière sous sa juridiction et combat les marchands d’esclaves. Cette opposition se poursuit au XIXᵉ siècle avec Ousmane Dan Fodio, qui fonde le califat de Sokoto (actuel nord du Nigeria et sud du Niger) et rejette activement la capture et la vente d’êtres humains. 

Abdul Kader Kane, chef religieux

Ousmane Dan Fodio, réformateur religieux, écrivain et homme d'État peul.

Dans l’Empire du Waalo (actuel Sénégal), au XIXᵉ siècle, la reine Ndaté Yalla Mbodj s’oppose à l’expansion coloniale française et à leur mainmise sur le commerce du fleuve Sénégal, un axe stratégique du commerce transsaharien et de la traite atlantique. Menant une double résistance, diplomatique et militaire, elle combat les tentatives françaises d’asservissement et de domination. 

À la fin du XIXᵉ siècle, en Afrique de l’Ouest, la reine Sarraounia Mangou, cheffe des Aznas, mène une lutte contre l’avancée coloniale française. En 1899, elle défait l’armée coloniale de la mission Voulet-Chanoine, montrant que la résistance africaine ne se limite pas à quelques figures isolées mais s’inscrit dans une continuité historique

Dans l’Empire Ashanti (actuel Ghana), au tournant du XXᵉ siècle, la reine-mère Yaa Asantewaa s’élève contre l’occupation britannique et mène, en 1900, une révolte armée contre l’envahisseur, mobilisant guerriers et guerrières pour défendre la souveraineté de son peuple. 

Plus tard, dans les années 1950-1960, des femmes camerounaises, issues de communautés rurales, participent activement aux actions de guérilla contre les forces coloniales françaises, jouant un rôle clé dans le combat pour l’indépendance, notamment au sein de l’Union des populations du Cameroun (UPC), mouvement nationaliste radicalement réprimé.  

Savoirs, spiritualités et héritages culturels

Parallèlement aux luttes armées, une résistance intellectuelle et scientifique prend forme, portée par des figures féminines dont l’impact dépasse les frontières. 

Dès le XVIIᵉ siècle, en Afrique de l’Ouest, la prophétesse Kimpa Vita, figure du mouvement antonianiste au royaume du Kongo, réinterprète le christianisme en affirmant une vision spirituelle africaine, dénonçant l’aliénation culturelle et politique imposée par la colonisation portugaise. Ses enseignements, perçus comme une menace, lui valent d’être brûlée vive en 1706.

Kimpa Vita, prophétesse kongo, fondatrice et dirigeante du mouvement antonianiste

À la fin du XVIIIᵉ siècle, en Afrique de l’Ouest, Nana Asma’u, fille du réformateur Ousmane Dan Fodio, devient l’une des premières grandes intellectuelles connues du monde musulman sahélien. Poétesse, érudite et pédagogue, elle joue un rôle clé dans la promotion de l’éducation des femmes en développant un vaste réseau d’instruction, Yan Taru, pour les femmes du califat de Sokoto (actuel Nigeria). 

Plus récemment, au XXᵉ siècle, des figures comme Funmilayo Ransome-Kuti, militante nigériane des années 1940-1950, et Mabel Dove Danquah, journaliste ghanéenne, dénoncent les injustices coloniales et participent à la redéfinition des identités africaines à travers l’écriture et l’activisme politique. 

Funmilayo Ransome-Kuti, militante nigériane

Mabel Dove Danquah, journaliste ghanéenne

La décolonisation ouvre la voie à une redéfinition des identités africaines et à une effervescence intellectuelle. Des auteures comme Mariama Bâ, avec Une si longue lettre (1979), interrogent les dynamiques de genre et les contraintes sociales. Chimamanda Ngozi Adichie, dans ses romans et essais, déconstruit les stéréotypes raciaux et féminins, ouvrant un dialogue global sur le féminisme et l’héritage colonial. D’autres penseuses comme Oyeronke Oyewumi, Léonora Miano et Fatou Diome enrichissent ces débats en valorisant la pluralité des identités africaines.  

L’histoire des genres en Afrique témoigne d’une diversité de modèles, souvent déformés par la colonisation. Dès l’Antiquité, des sociétés telles que les Yoruba et les Akan privilégient la complémentarité des rôles. Chez les Yoruba, le panthéon orisha, affichant à la fois des attributs masculins et féminins, illustre une identité fluide, tandis que chez les Akan, l’organisation matrilinéaire confère aux femmes un rôle central dans la transmission de l’héritage économique et culturel. D’autres sociétés – Igbo, Fon, Ewe, peuples berbères, cultures du Sahel et sociétés bantoues d’Afrique de l’Est – montrent que les fonctions sociales, rituelles et économiques se négocient en permanence. L’islam, implanté dès le VIIᵉ siècle, et le christianisme, enraciné en Éthiopie dès le IVᵉ siècle et associé par la suite aux processus coloniaux, ont parfois rigidifié les rapports de genre en imposant des normes extérieures. Certaines conceptions contemporaines perçues comme « traditionnelles » sont en réalité fortement influencées par ces legs historiques. 

L’après-colonialisme marque l’émergence d’innovations sociales et scientifiques. Wangari Maathai, du Kenya, reçoit le Prix Nobel de la paix en 2004 pour son engagement en faveur de l’environnement, et la professeure Francisca Nneka Okeke, du Nigeria, ouvre de nouvelles perspectives en astrophysique et en physique des plasmas, notamment dans les domaines de l’énergie renouvelable et des télécommunications. Par ailleurs, les savoirs médicinaux traditionnels, transmis par des guérisseuses depuis des siècles, s’intègrent aujourd’hui dans des projets de recherche visant à développer des traitements naturels pour diverses maladies tropicales. L’essor de l’entrepreneuriat technologique, porté par de nombreuses entrepreneuses depuis les années 2000, a permis la création de solutions numériques innovantes facilitant l’accès aux services financiers et stimulant le développement économique. 

Wangari Maathai

Professeure Francisca Nneka Okeke

Vivre aujourd’hui, habiter sa complexité

L’histoire des peuples noirs est riche, plurimillénaire, et ne se réduit ni à l’esclavage ni à la colonisation. Elle continue de s’écrire aujourd’hui à travers la science, la culture et les mouvements sociaux.  

Se construire en Occident, où la couleur de peau demeure un critère discriminant, reste un défi réel. L’intériorisation du racisme peut semer le doute sur sa valeur intrinsèque et laisser des marques profondes. 

Il est pourtant essentiel d’éviter l’impasse identitaire, ce « gouffre racial » qui enferme dans des catégories artificielles. En sortir ne signifie pas nier l’histoire ou les structures d’oppression, mais recontextualiser les récits. Se réapproprier son histoire ne signifie ni s’y figer, ni l’idéaliser, mais en embrasser la complexité.  

Habiter pleinement son époque, affirmer la pluralité de son identité et revendiquer ses droits sans se laisser dicter ce que signifie être soi : voilà le véritable enjeu.  

Cynthia 

Sources externes :

Idrissa Ba - Le commerce transsaharien et ses logiques d’accommodation par rapport au commerce transatlantique entre le XVe et le XIXe siècle (2020) 

Podcast RFIAfrique, Mémoires d’un continent  

https://rfi.my/7f1o 

Race: The Power of an Illusion – Documentaire et site éducatif (racepowerofanillusion.org

https://histoireparlesfemmes.com/carte/ 

https://blogs.mediapart.fr/julien-lacassagne/blog/121217/la-construction-du-racisme-dans-le-monde-arabe-et-maghrebin 

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/12/02/sur-l-esclavage-moderne-la-prise-de-conscience-est-faible-et-derisoire_5223711_3212.html 

https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000235230.locale=fr

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