Hymne à la joie - Savoir-Pouvoir jour 3
"Hymne à la joie
La troisième journée de l’École Populaire Savoir-Pouvoir, organisée par Tant Que Je Serai Noire, a abordé des thématiques lourdes.
Le matin, Christophe, journaliste à StreetPress, nous a permis de mieux comprendre les mécanismes et la structuration de l’extrême droite : ses symboles, ses stratégies discursives, ses relais médiatiques, les glissements idéologiques qui s’installent dans nos quotidiens. Il ne s’agissait ni de dramatiser, ni d’édulcorer, mais de poser un diagnostic clair pour pouvoir agir.
L’après-midi, Bissai Média a animé un atelier conçu pour nous. Nous avons parlé des stéréotypes qui pèsent sur les femmes noires : ces images figées qui précèdent nos corps, les contiennent ou les trahissent. Nous avons dit les blessures, la fatigue ; mais aussi ce qui nous lie, et parfois libère.
Je n’avais pas envie que cela s’arrête. J’aurais voulu prolonger cette vibration collective, cette circulation d’émotions et de pensées. En regardant ces femmes, j’ai pensé à Still I Rise, à To Be Young, Gifted and Black.
J'ai eu le sentiment de voir se matérialiser sous mes yeux ce poème :
Corps-mondes
Elle s’avance,
et la lumière orne sa peau.
Ici, l’ambre, là, l’argile,
plus loin, l’onyx.
Sous la main, elle est finement texturée,
chaude comme la pierre au soleil,
douce comme le velouté du karité.
Son visage se façonne avec le jour.
Un instant, l’ovale s’étire,
le front s’élève, haut comme un cri.
Les pommettes cisèlent l’ombre,
la mâchoire tranche le vent.
Puis la rondeur s’impose,
les joues pleines comme des lunes pleines,
les lèvres ourlées, serties de nuances de tamarin.
Elle est toutes, et toujours elle-même.
Son corps se modèle au souffle des saisons.
Lianes souples, hanches hautes, courbes ancrées,
toutes bâtissent le monde.
Elle est le silence du Sahel avant l’aherramantah,
l’onde du mbu, la lumière mouvante de l’ihlane.
Elle est le souffle ardent du Bonde la Ufa, sculptant la terre.
Ses cheveux, parure vivante,
spirales d’ombre, torsades lustrées.
Canopée foisonnante,
brindilles nouées d’or,
nuages où le zéphyr s’attarde.
Parfois ils claquent, perles contre perles,
parfois ils chuchotent,
tressés dans le secret des nuits.
Sa voix est une promesse d’horizons.
Elle clique en xhosa,
glisse en swahili,
danse en lingala,
suspend en fon.
Tchhh !
Tchrrrr !
Tchip !
Parfois tambour, parfois rivière.
Quand elle se tait,
le silence garde son empreinte,
et son nom s’élance avec la brise
J’ai ressenti une joie profonde qui fait face, malgré les thèmes lourds, malgré le climat politique, malgré l’épuisement.
Une joie résistante.
Celle d’être ensemble, de partager des récits sans avoir à les justifier, pleinement ancrées dans cet instant.
Nous n’avons pas les mêmes trajectoires, nous ne parlons pas toujours les mêmes langues. Et pourtant, une compréhension mutuelle s’est imposée. Pas besoin de consensus pour que le lien soit là.
Ce ne sont pas toujours les grandes idées qui transforment le monde, mais ces espaces intimes, sincères, où la vulnérabilité n’est ni exploitée ni disqualifiée.
Des lieux où l’on peut s’outiller, et rêver en grand, sans naïveté.
À celles qui ont parlé, écouté ou simplement été là : merci.
Continuons à écrire nos corps-mondes. À affirmer nos présences. À créer des espaces où nos existences ne sont pas soumises à validation, mais pleinement reconnues.
Cynthia"