l’CNOM : faillite et dangerosité de l'Ordre des médecins confirmées
C’est ainsi que l’Ordre des médecins se présente. Et pourtant, derrière cette institution censée veiller au respect de l’éthique médicale, protéger les patient-es et garantir la déontologie… les silences sont nombreux. Trop nombreux.
Le 28 mai 2025, Mediapart a révélé les failles d’un système qui ne protège pas : celui de Joël Le Scouarnec, chirurgien reconnu coupable de violences pédocriminelles sur plus de 300 victimes. Un scandale qui aurait pu – et surtout dû – être évité, si les alertes avaient été prises au sérieux plus tôt. Si l’Ordre des médecins avait assumé sa mission première : celle de prévenir, d’agir, de sanctionner.
Mais ce cas n’est pas isolé : D’autres médecins, d’autres spécialités, d’autres histoires existent. Des gynécologues accusés d’agressions sexuelles, patientes ignorées, violences obstétricales tues, personnes racisées mal soignées,voire stigmatisées, où le corps médical est loin d’être exempt de violences systémiques.
Et l’Ordre ? Trop souvent muet, trop souvent protecteur des siens, sans être assez protecteur des patient-es.
Attention, le but de cet article n’est pas de jeter un affront à une profession entière, ni de nier l’engagement sincère de nombreux soignants ; il s’agit ici de regarder les choses en face — quand des agresseurs portent une blouse blanche, le silence devient complice. Il s’agit ici d’exiger une médecine réellement éthique, réellement vigilante et sécurisante pour toustes.
🟣 Digne de confiance : mais pour qui ?
Le serment d’Hippocrate ne suffit pas à garantir l’éthique, et le Conseil de l’Ordre des médecins, censé incarner la rigueur morale de la profession, semble plus préoccupé par la défense de ses membres que par la protection des patient-es. En effet, depuis plusieurs années, les scandales médicaux s’accumulent, révélant les failles béantes d’un système d’autorégulation complaisant. Le plus récent – et sans doute le plus glaçant – est celui de Joël Le Scouarnec.
Chirurgien à la retraite, Le Scouarnec est aujourd’hui jugé pour 299 viols et agressions sexuelles, commis majoritairement sur des patient-es mineur-es. Pourtant, ce n’est qu’en 2017 qu’il a été arrêté, alors qu’il avait déjà été condamné en 2005 pour détention d’images pédopornographiques.
Quinze ans de silence.
Quinze ans d’impunité.
Quinze ans pendant lesquels il a continué à exercer en toute tranquillité. Et où était donc l’Ordre des médecins pendant ce temps ? Nulle part ? Ou plutôt si : à défendre, justifier, temporiser.
L’attitude du Conseil de l’Ordre, désormais sur le banc des parties civiles dans ce procès, interroge profondément. Comment un homme reconnu coupable d’un délit aussi grave a-t-il pu conserver son droit d’exercer auprès de patient-es – y compris des enfants ? Mediapart, dans une enquête publiée le 19 mai 2025, révèle une jurisprudence disciplinaire édifiante : sur 33 affaires impliquant des médecins accusés de pédocriminalité, plus d’un tiers ont conservé leur droit d’exercer, parfois avec des peines symboliques, souvent avec sursis.
Par exemple, dans l’affaire du Dr V., condamné pour la possession et la diffusion de 1 300 fichiers pédopornographiques, l’Ordre s’est contenté d’une interdiction d’exercer de 12 mois, dont trois seulement étaient fermes. Et cela, alors même que ce médecin était amené à ausculter des enfants. Le conseil disciplinaire n’a pas jugé utile de mentionner ce fait. Sa “situation personnelle difficile” a, semble-t-il, pesé plus lourd dans la balance que la sécurité des mineur-es.
Ces décisions ne sont pas des anomalies ; elles sont les symptômes d’un système qui traite la pédocriminalité comme un simple écart de conduite, tant que le médecin qui “se soigne”, reste discret, ou change de département. Pendant ce temps, ce sont les patient-es, souvent les plus vulnérables, qui paient le prix du silence.
Alors, “digne de confiance” l’Ordre ? Oui, mais uniquement pour ses membres, pas pour celleux qui passent entre les mains de ces soignants, ni pour celleux qui portent les séquelles d’une agression commise dans un cabinet médical, un bloc opératoire ou une salle de consultation.
🟣 Un système qui protège les siens plus que ses patient-es
L’indignation publique, les déclarations de “tolérance zéro”... malgré les effets d’annonce médiatique, un système continue de tourner sur lui-même, et ce système, c’est celui d’un entrisme au sein du conseil de l’Ordre médical, plus prompt à préserver la réputation des blouses blanches qu’à défendre celleux qui en sont victimes.
Car s’il y a bien une constante dans les scandales médicaux de ces dernières années, c’est la lenteur des procédures disciplinaires, comme si l’urgence n’était jamais du côté des victimes. Dans le cas du Dr X, cité par un rapport de la Cour des comptes en 2019, l’Ordre a attendu plus de trois ans après une condamnation pénale pour agression sexuelle sur mineur avant d’ouvrir une procédure. Trois années de plus à exercer, à consulter, à ausculter : trois années de trop.
La justice ordinale, celle menée par les instances disciplinaires de l’Ordre des médecins, donne bien souvent l’impression d’intervenir trop tard — et parfois même, de ne jamais avoir eu l’intention d’agir. Dans de nombreux cas, ce sont les patient-es, les familles ou les journalistes qui doivent alerter, exposer, pour qu’une plainte aboutisse enfin. Et même là, rien n’est garanti : par exemple, le cas d’un médecin condamné pour des agressions sexuelles sur ses propres filles n’a écopé que d’un sursis, tandis que l’opératrice de SAMU qui a raillé la détresse de Naomi Musenga, a également écopé d’un an de prison avec sursis.
Ce décalage n’est pas seulement une question de procédure : il tient aussi à une culture d’impunité ancrée dans les murs des établissements de santé où la parole du médecin prime, et où l’omerta est la règle. De nombreuses victimes racontent les mêmes freins : peur de ne pas être crue, peur des représailles, culpabilité inversée. Combien ont abandonné l’idée de porter plainte après avoir été dissuadées par leur entourage médical ou administratif ? Combien ont été isolées, gaslightées, culpabilisées ?
L’Ordre, de son côté, met en avant sa récente “politique volontariste” : une commission des plaintes, créée en 2023, et un suivi des décisions disciplinaires. Mais cette annonce tardive sonne comme une rustine sur une hémorragie, où on ne répare pas des décennies de silence et de complaisance avec une cellule de crise et quelques dossiers marqués “égalité”.
En effet, derrière le vernis de responsabilité, ce que révèle chaque affaire, c’est un système incapable de se penser du côté des victimes. Et tant que ce sont les pairs qui jugent les pairs, le bénéfice du doute ira toujours au médecin, jamais à la personne agressée.
🟣 Le poids du racisme, du sexisme et classisme : qu’en est-il ?
Quand l’Ordre protège ses pairs, les patient-es, elleux, se retrouvent seul-es, et certain-es en paient le prix fort. Pour les personnes racisées, que ce soit les femmes, les hommes noir-es, les minorités de genre et les patient-es précaires, l’inaction des institutions médicales n’est pas qu’une injustice : c’est une double peine. À la violence des actes s’ajoute le mépris de la plainte, le doute systémique, l’invisibilisation du vécu. Et parfois, cette chaîne d’humiliations se termine en chambre mortuaire.
C’est dans leurs récits et témoignages qu’une constante revient : être négligé-e, minimisé-e, parfois même méprisé-e. En effet, derrière la blouse blanche, les biais racistes, sexistes, validistes, grossophobes, LGBTQIphobes et classistes ne disparaissent pas ; au contraire, ils se renforcent dans un système qui refuse encore de reconnaître leurs effets concrets. Et ces effets tuent.
Le syndrome méditerranéen, plaie béante du racisme médical en France (en savoir plus sur le compte de l’association Lallab et aboutjustice repro) transmis à bas mots dans les hôpitaux français, en est un exemple clinique. Il désigne de façon méprisante les patient-es venu-es des pays caribéens et africains, perçu-es comme exagérant systématiquement leurs douleurs. Cette croyance, apprise non pas dans les livres mais dans les couloirs des hôpitaux, entraîne une chose simple : moins d’écoute, moins d’antalgique, moins de soins. En d’autres termes : moins d’humanité.
Cette déshumanisation se retrouve effectivement dans des drames devenus emblématiques : telle que Naomi Musenga, 22 ans, moquée au téléphone par une opératrice de SAMU alors qu’elle appelait à l’aide, ou Aïcha, 13 ans, dont les douleurs ont été jugées « exagérées » par les pompiers – elle est morte d’une hémorragie cérébrale quelques jours plus tard – ou encore cette mère franco-algérienne, atteinte d’un cancer du sein, à qui a-t-on dit qu’elle allait bien alors que la tumeur progressait. Sa fille, Asma, l’affirme : « On ne la croyait pas, on ne l’écoutait pas. »
Ces récits ne sont pas des exceptions. Ils révèlent une violence structurelle, à l’intersection du racisme, du sexisme et de la classe sociale ; car les corps racisés perçus comme “moins crédibles”, sont systématiquement privés d’une attention médicale juste. Ils sont pathologisés, et (très) souvent, abandonnés.
En mai 2025, un rapport du Défenseur des droits alerte sur la discrimination systémique dans les pratiques médicales, documentant le poids du racisme et du sexisme dans les diagnostics différés et les douleurs ignorées. Ce n’est plus une question d'intuition, c’est à présent une réalité documentée et mortelle.
Dans ce contexte, comment croire à la neutralité d’un Ordre des médecins qui ne reconnaît toujours pas officiellement ces violences intersectionnelles ? Comment croire à une politique de santé “pour toustes” quand tant de femmes noires et de personnes minorisées sortent des hôpitaux avec plus de traumatismes qu’en y entrant ?
(C’est face à ce constat que Tant que je serai noire travaille actuellement sur un rapport détaillé autour des violences médicales spécifiques aux femmes noires et aux minorités de genre. Ce projet, intitulé Santé pour toustes, vise à mettre en lumière les discriminations médicales systémiques et à exiger des politiques publiques réellement inclusives. Parce que notre santé ne devrait jamais dépendre de notre couleur de peau, de notre accent, de notre genre ou de notre précarité.)
🟣 Reprendre le pouvoir sur nos corps, aussi dans les lieux de soin
Nous n’avons pas à nous adapter à un système médical violent, raciste ou silencieux.
C’est à ce système de se transformer pour nous garantir ce qui devrait être un droit fondamental : le soin, la sécurité, la dignité.
Tant que les patient-es noir-es, racisé-es, précaires, queer, en situation de handicap continueront d’être exclu-es, humilié-es ou nié-es dans leur souffrance, nous continuerons de prendre la parole.
Vous ne savez pas quoi faire si vous ou un-e proche êtes victime de violences médicales ?
Retrouvez toutes les ressources utiles sur le site web d’OBS.med – Observatoire des violences médicales
Nous exprimons aussi tout notre soutien au Collectif des victimes de Joël Le Scouarnec qui, malgré la lourdeur de leur combat, poursuit son marathon politique pour faire bouger les lignes.
Vous pouvez les suivre sur Instagram : @collectif.de.victimes.de.jls et Facebook pour rester informé-es des avancées après le verdict. Et si vous le pouvez, participez à leur cagnotte de soutien, qui leur permettra de :
Continuer leurs actions de plaidoyer à Paris et en région
Couvrir les frais logistiques (transports, hébergements, communication)
Construire une mobilisation citoyenne à la hauteur de l’enjeu
Sources :