On a vu le film Fanon ; une puissance de nos blessures non refermées

Coucou toi, j'espère que tu vas bien en ce moment et que surtout, tu te portes bien 🌸

Tout d'abord, merci de prendre le temps de lire ces quelques lignes. Il est rare que je prenne la parole, mais après avoir vu le film Fanon au cinéma à Paris, je ne pouvais pas faire autrement que de vous écrire un retour là-dessus. 

Donc voilà. Mardi 8 avril, j'ai assisté à la séance du film FANON, réalisé par Jean-Claude Flamand-Barny. Et franchement, je dois l'avouer : ce film est comme un coup de poignard qu'on pourrait nous mettre, mais pas de dos. En plein cœur.

 

🖤 Plus qu’un biopic, un cri poétique

Le film débute en Algérie, en 1953. Fanon, jeune psychiatre martiniquais, né de parents et grand-parents d’esclaves, prend ses fonctions à l’hôpital de Blinda (aujourd’hui hôpital Frantz-Fanon). Dès les premières minutes, on sent l’oppression latente, le mépris colonial, les regards qui vous déshabillent de votre humanité.

Ses collègues blancs le regardent de haut, le directeur le méprise à peine masqué. Même moi dans la salle, j’ai ressenti ce moment de malaise familier, celui qu’on connaît quand on sent qu’on n’est pas à sa place, pas vraiment accepté, pas vraiment entendu. 

Mais ce film ne s’arrête pas là.

Il nous plonge dans l’hôpital, dans la psychiatrie coloniale, dans les couloirs sombres et sordides où les patients algériens atteints de démence sont traités comme des “bêtes” — ainsi étaient les mots de l’infirmier — enchaînés, affamés, qualifiés de “fous”, “dangereux”, et de “sauvages” par un personnel qui nie leur humanité.

C’est là que le “syndrome méditerranéen”, si souvent décrié, m’a frappée de plein fouet. 

Mythe ou réalité ? Ce que je sais, c’est que cette minimisation de la douleur des corps racisés existe encore aujourd’hui, et qu’à l’époque, elle tuait aussi. 

 

🕊️ Fanon, soignant et résistant

Mais face à cette violence, Fanon choisit de soigner, de comprendre, d’écouter.

Il prend en charge les patients. Il recrute des traducteurs. Il découvre que ces “traducteurs” sont en réalité des membres de la résistance menée par Abane Ramdane, militant politique et révolutionnaire algérien. 

Et c'est ainsi que commence la résistance que Fanon va mener en soignant des prisonniers et résistants appelés par les colons “des terroristes”, mais également rédiger son premier livre : “les damnés de la Terre”. 

“Les damnés de la Terre”.

Ce titre m’a fait frissonner. Pas en mal, rassurez-vous. Seulement qu'il me rappelle, chaque fois que cette phrase est là, que les damnés… c'est nous, en effet. 

Les invisibles, les infériorisés, les opprimés, les indésirables… celleux qui osent parler, résister, se battre — et qu’on tente de faire taire.

 

✊🏾 Un film nécessaire, un film politique.

Ce film m’a bouleversée parce qu’il ne propose pas un récit lisse, aseptisé ou édulcoré : il est brut, précis, poignant. Tout y est important — les séquences, les silences, les dialogues, les personnages, et surtout, leurs évolutions. D'abord Fanon : présenté comme un homme brillant, sûr de lui, presque impénétrable, laisse progressivement transparaître la douleur, la colère et cette forme de tristesse muette que seuls ceux qui ont trop vu, trop entendu, trop encaissé connaissent. En effet, derrière ce masque d’impassibilité, ce n’est pas de la froideur que l’on perçoit, mais la rage contenue d’un homme qui refuse de détourner le regard. Et ce que j’ai trouvé d’une force rare, c’est que Fanon n’est jamais réduit à une fonction, ni même instrumentalisé dans un quelconque trope ; il n’est ni “le Noir” qui s’allie “aux Arabes”, ni “le sauveur noir” venu guérir “les colons blancs”. Il est un homme — non, un être humain qui se bat pour d’autres êtres humains, un être humain qui soigne, qui résiste, qui lutte pour faire exister la vie là où elle est constamment écrasée.

Alors, si je devais décrire en une phrase ce film : “Une puissance de douceur”. Parce qu’il est d’une douceur esthétique infinie, mais d’une puissance politique brûlante.

Parce qu’il nous parle de l’histoire des nôtres, de nos ancêtres, et nous rappelle qu’il faut continuer à lutter, encore et toujours, mais surtout, il nous rappelle qu’il est encore possible de transformer le monde, ici et maintenant, même lorsque les obstacles semblent insurmontables, même lorsque la fatigue ou la maladie s’installe. Fanon s’est battu jusqu’à sa mort, où il a été frappé d’une leucémie “foudroyante”.

Donc oui, les temps sont durs — et peut-être plus que jamais, la politique s'immisçant dans nos quotidiens, qui s’impose dans nos conversations, étouffe nos réseaux. Et face à cela, le film surgit comme une gifle impressionnante, un cri lancé à pleine gorge pour nous rappeler que nous n’avons pas le droit d’abandonner, que résister est une nécessité. La femme qui a osé crier “Vive la colonisation !” à la fin de la séance — dans cette salle où nous étions venues chercher mémoire et dignité — incarne précisément ce contre quoi nous devons encore nous battre. Son cri est la preuve vivante que tout reste à faire.

On est aussi conscientes que Fanon, en tant qu’œuvre cinématographique, ne prétend pas raconter toute la vie de Franz Fanon dans ses moindres détails. Ce n’est pas un documentaire exhaustif, ni une biographie figée. Il y a certes des choix artistiques, des angles assumés, et forcément, des parts de silence ou d’interprétation. Mais le film a ce mérite immense de remettre l’histoire au centre d’un dialogue collectif, rendant visible une pensée longtemps marginalisée, et surtout, il donne envie d’aller plus loin.

Pour beaucoup de jeunes, de spectateur-ices pas familièr-es de son œuvre, ce film peut être une première rencontre, et c’est déjà énorme car par la suite, peut-être qu’iels iront chercher Les damnés de la Terre, Peau noire, masques blancs, et toutes les réflexions qui continuent de traverser nos luttes aujourd’hui. Et rien que pour ça, ça valait le coup d’exister.

Alors oui, je vous recommande ce film sans la moindre hésitation. J’espère simplement que les plateformes télés ne détourneront pas le regard comme l’a fait MK2, et qu’elles auront le courage de le diffuser largement, pour que celleux qui n’ont pas pu le voir en salle puissent, à leur tour, entendre cette mémoire rugir.

Merci à Jean-Claude Flamand-Barny pour ce film.

Merci à UGC de lui avoir offert une salle.

Merci à Fanon, et à toutes les figures historiques qui ont résisté pour nous.

C’est grâce à elles qu’on peut aujourd’hui créer des médias comme les nôtres, des associations, des collectifs — prendre la parole, organiser des cercles de parole, écrire des newsletters, et dire haut et fort que nos vies comptent.

Alors oui, allez voir Fanon.

Et si vous ne pouvez pas, espérons qu’un jour, il soit enfin accessible à toustes.

C’est tout pour moi. ✨

Absana – chargée de communication 

Absana

Absana est la chargée de communication de TQJSN

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