Aimer en amitié : ce que nos liens révèlent de nous
L’amitié aux multifacettes
L’amitié a mille définitions. Mille nuances. Mille visages.
Nous avons toutes notre manière d’aimer. De nous attacher, de nous protéger et de nous quitter aussi.
Je crois que nous sommes unanimes sur le fait qu’il n’existe pas une seule forme d’amitié ; mais une constellation de liens, plus ou moins profonds, plus ou moins durables et révélateurs.
En tant que thérapeute, c’est un sujet évoqué régulièrement avec les femmes que j’accompagne.
À chaque fois, il revient comme un miroir. L’amitié n’est jamais anodine, elle met en lumière nos héritages, nos blessures, nos mécanismes de défense, nos attentes, nos manques et nos forces.
Elle révèle avec douceur, parfois avec brutalité — la manière dont nous avons appris à aimer, tantôt transmis ou subies.
Elle raconte qui nous sommes et expose en plein jour nos limites.
Ce qui m’a poussée à écrire sur ce sujet dépasse la classification des types de relations d’amitié. Des questionnements sont nés, après plusieurs épreuves endurées cette année. Qui sommes-nous véritablement dans l’amitié ? Qu’est-ce que nous recevons ? Qu’est-ce que nous donnons ? et surtout Pourquoi nous le donnons ?
L’amitié, un pilier vivant
L’amitié est l’un des piliers centraux de la vie humaine.
Mais contrairement à ce qu’on aimerait croire - ou nous faire croire - elle n’est ni figée ni à durée indéterminée.
L’amitié évolue, se transforme. Elle se resserre ou se distend au fil des âges, des saisons intérieures, des épreuves et des renaissances.
Elle subit nos transitions, nos chagrins, nos guérisons.
Elle s’adapte ou elle s’effrite.
Elle éclaire ou elle fatigue.
Et c’est précisément dans ces mouvements que j’ai découvert ma manière d’aimer mais aussi mes zones d’ombre.
Mes premières amitiés et mes chagrins
L’amitié à rapidement eu une place prépondérante dans ma vie. À ce propos, mon premier chagrin n’était pas issu d’une relation amoureuse mais d’une relation amicale.
À treize ans, j’ai mis fin à la relation que j’entretenais avec ma meilleure amie.
Je ne savais pas comment faire autrement. J’ai fui, j’ai mis de la distance, j’ai protégé quelque chose en moi que je ne comprenais pas encore.
Je m’en suis longtemps voulu. Pendant des années, j’ai porté ce départ comme une faute. Ce n’est qu’une décennie plus tard que j’ai réalisé que je reproduisais un schéma. Je m' éclipsais dès que je pressentais que la relation pouvait éventuellement s’arrêter et que j’allais devoir m’exposer.
Ce mécanisme, je l’ai répété partout dans de nombreuses sphères de ma vie — tant professionnelle que personnelle.
Adolescente, j'ai bien plus de facilité à créer des relations amicales avec des garçons qu’avec des filles. À cette époque, je n’étais pas prête à m’ouvrir émotionnellement, ni à explorer cette part de féminité que je percevais comme exigeante, voire menaçante.
À cette période de ma vie, l’amitié avec les garçons me semblait, tout du moins en apparence, plus simple : moins de vulnérabilité, moins d’attentes, moins de risques d’être vue dans toute ma sensibilité.
J’ai grandi avec l’idée que se montrer vulnérable était une faiblesse ; alors que pour autant j’accueillais celles des autres.
Vingt ans plus tard, je m’engage dans un travail thérapeutique. C’est au cours d’un exercice de déprogrammation-reprogrammation que j'écris une lettre manuscrite à cette ancienne meilleure amie.
Non pas pour effacer le passé, mais pour me libérer de cette culpabilité qui inconsciemment me pesait depuis près de 25 ans.
Dans cette lettre, je lui explique les raisons de mon comportement, et surtout, je lui demande pardon.
Pour faire de la place. Oui, libérer de l’espace pour transmuter et accueillir une nouvelle moi.
L’amitié, une forme d’amour
J’ai fini par comprendre que l’amitié, comme toute forme d’amour, demande sensibilité, responsabilité et respect. Certes l’amitié n’est pas une dette, mais elle nous engage, parfois bien plus que nous ne voulons l’admettre.
Et qu'il existe, selon Güroğlu, “mille manières de se briser intérieurement en silence” .
As-tu déjà eu le cœur brisé par une amitié ? T’es-tu déjà démené pour retrouver un lien d’amitié ? As-tu déjà déprimé à cause d’une amitié ?
J’ai longtemps considéré mes ami.e.s comme le prolongement de ma famille parce que j’ai été élevée ainsi. Surinvestissement, disponibilité et dévouement étaient ma façon d’aimer. C’était mon écusson.
J’étais présente pour l’autre et étrangement absente pour moi-même.
J’ai donné de ma présence à des personnes qui n’avaient pas l’intelligence émotionnelle de se demander comment j’allais, pour de vrai.
On pourrait penser que la relation était déséquilibrée … mais tout dépend de qui regarde.
Ces relations m’ont obligée à regarder mes propres fondations en face — que je croyais solides, exemplaires, presque irréprochables.
Elles ne l’étaient pas. Loin de là.
Apprendre à se découvrir
J’écoutais, je conseillais. Je donnais trop et me livrais peu. J’ai reconnu que mon rapport au lien était défaillant. J’anticipais tout et parfois mal, pour éviter ce que je pensais comme incontournable, souffrir. Alors qu’il n’en est rien. J’ai appris que souffrir dans une relation, n’est pas une fatalité.
Je comprenais profondément les autres - et c’est toujours le cas - mais je m’illusionnais à penser qu’ils pouvaient ressentir mon état psychologique sans que j’ai à l’exprimer. Alors que ma singularité n’appartient qu’à moi.
Avec le temps, j’ai aussi découvert que ma manière d’aimer en amitié influençait profondément ma manière d’être entourée, notamment auprès des femmes.
J’ai dû apprendre à renoncer au contrôle. À prendre le risque d’être vue et entendue.
J’ai dû apprendre à me confier. À faire confiance, à accepter l’inévitabilité de la vulnérabilité quand on est dans la rencontre.
Plus je me laissais découvrir, plus je redécouvrais qui j’étais.
Maya Angelou écrit que ”certaines relations nous élèvent tandis que d’autres nous rapetissent. Avec le temps, j’ai appris à choisir ce qui m’ouvre plutôt que ce qui me rétrécit.”
Audre Lorde rappelle que “sans communauté, il n’y a pas de libération” .
On ne vit pas de vraies relations sans accepter le risque. L’amour est un risque inévitable pour vivre de réelles expériences.
Aujourd’hui, une amitié - tout genre confondu - qui me nourrit est un cocon que je préserve.
C’est quelqu’un dont la seule présence me fait du bien.
C’est quelqu’un auprès de qui je suis moi, sans masque ni paillette.
C’est quelqu’un qui m’écoute pour de vrai.
Je choisis le moment, pas la quantité, ni la fréquence.
Je choisis délibérément la qualité du lien.
Choisir ses liens, un acte politique
Parce que j’ai compris que choisir ses liens est un acte politique.
Un refus d’hériter de schémas qui nous réduisent à la solitude, à des relations futiles ou toxiques.
Pas un caprice, pas une humeur. Un positionnement.
Choisir mes liens c’est choisir ma liberté.
C’est choisir qui a accès à mon énergie, qui traverse mes saisons
et qui partage mes silences.
À qui est-ce que je donne ma véritable météo intérieure.
C’est reconnaître que je ne dois rien à celles et ceux qui ne savent pas
ou bien qui ne veulent pas voir, entendre ou préserver ce que je suis.
Toni Morrison exprimait le lien entre les femmes avec les mots suivants
“She is a friend of my mind.”
Ce type de lien riche et profond, est désormais celui que je cultive avec soin.
C’est ce chemin personnel qui m’a amenée, naturellement, à créer
— et à honorer — des espaces dédiés aux femmes.
Parce que c’est d’abord et avant tout - hormis mon clan familial - l’amitié qui m’a appris la puissance du collectif, le soin mutuel et la guérison partagée.
Elle m’a montré la voie et m’a donné de la voix.
Elle m’a montré à quel point nous sommes puissantes lorsque, nous nous choisissons, nous nous tendons la main et nous nous soutenons sans condition.
Lorsque nous nous regardons pour de vrai, il nous faut finalement si peu de mots pour nous comprendre.
@douma_les_palabreuses
Thérapeute en psychogénéalogie et analyse transgénérationnelle
Déprogrammation-reprogrammation : Cette approche donne la possibilité d'intégrer des expériences douloureuses, d'ancrer des états ressources, de changer nos croyances, en faisant appel à des "cognitions positives" personnelles permettant de mettre en place de nouveaux comportements, et de sortir des schémas récurrents apportant bien-être, légèreté et paix intérieure.
Güroğlu, B. (2022). The power of friendship: The developmental significance of friendships from a neuroscience perspective. Child Development Perspectives, 16(2), 110‑117.
Angelou, M. (2008). Letter to My Daughter. Random House.
Lorde, A. (1984). Sister Outsider. Crossing Press.
Traduction française “Elle est l’amie de mon esprit.”