Maternité(s) ?

J’ai des enfants que j’aime de tout mon cœur. Pourtant, je suis convaincue qu’ils ne constituent pas une condition sine qua non de mon bonheur ni de mon épanouissement en tant que femme.

J’aurais très bien pu ne pas en avoir. Certains estiment que je tiens ce discours parce que je suis déjà mère, sans avoir rencontré d’obstacles pour le devenir. Il n’empêche que, plus jeune, j’envisageais sincèrement une vie sans enfants. 

Pendant longtemps, j’ai considéré la maternité comme une entrave, surtout dans nos sociétés où les violences économiques, psychologiques et physiques vis-à-vis des femmes sont fréquentes. Combien de femmes tolèrent des situations injustes dont elles s'affranchiraient plus aisément sans enfants ? Combien cèdent à la pression sociale ou au « il faut » sans même questionner leur propre désir ? Et que dire de la violence subie par certains enfants eux-mêmes ? 

Pour les femmes racisées, la maternité s’inscrit aussi dans une histoire marquée par l’esclavage et la colonisation, où leurs corps étaient contrôlés. Dans beaucoup de sociétés africaines contemporaines, la fertilité d’une femme est presque portée aux nues. L’infertilité d’une femme peut conduire à une désunion. D’un côté, la maternité est érigée en pilier identitaire ; de l’autre, elle est parfois transformée en instrument de pression sociale. 

L’idée qu’une femme n’est « complète » qu’en enfantant perdure. Peu importe ses réalisations : elles sont jugées incomplètes sans descendance. Et même lorsqu’elle devient mère, il faut qu’elle incarne un idéal flou, celui d’une femme « maternelle », un fardeau supplémentaire à endosser. 

Mère ou ne pas l’être ? 

Certaines femmes disent que le désir d’enfant est viscéral : elles ont toujours ressenti cet élan. 

D’autres évoquent la transmission, alors que transmettre des valeurs ou de l’amour peut se faire sans enfanter. 

Certaines, par exemple, deviennent mères par adoption ou choisissent d’être des figures maternelles sans pour autant porter l’enfant. 

D’autres encore craignent la solitude de la vieillesse, même si avoir des enfants n’est en rien une garantie contre l’isolement. 

La parentalité rendrait moins égoïste : or, bien des parents restent très centrés sur eux-mêmes malgré leur progéniture. 

Pour ma part, c’est un homme, à un moment précis de ma vie, qui m’a donné envie d’avoir un enfant de lui. J’ai senti que je pourrais poursuivre mes projets personnels sans être réduite à mon rôle de mère ou de compagne. 

Au fil des générations, l’accès à la contraception, à l’éducation et à l’emploi a permis aux femmes de gagner en autonomie. 

Pourtant, de nombreuses femmes racisées rapportent combien il est difficile d’exprimer un non-désir d’enfant. Dire non ou renoncer à la maternité demeure un sujet tabou, nourri par la peur de la vieillesse solitaire, les injonctions familiales ou l’idée que la maternité serait le seul moyen de reconnaissance. 

Il y a celles qui souhaiteraient enfanter, mais qui rencontrent des obstacles médicaux ou personnels, parfois en subissant cette pression sociale : un rappel que ce “choix” n’en est pas toujours un.  D’autres, au contraire, ressentent un désir sincère d’être mères, indépendamment de toute pression. 

En tant que femme racisée, je pense qu’il est essentiel de s’autoriser à s’interroger : souhaitons-nous des enfants pour nous-mêmes, parce que nous avons envie de faire connaissance avec ces personnes que nous mettrions au monde, ou pour répondre à des attentes extérieures ?  

Je tiens également à questionner une attente implicite adressée aux femmes racisées : non seulement il faudrait qu’elles aient des enfants, mais, si elles n’en ont pas, qu’elles « donnent des gages » en prenant soin des autres. Or, je revendique qu’une femme racisée puisse choisir de ne pas être dans le « care », et être accomplie malgré tout.  

Enfanter (ou adopter) n’est ni un remède contre la solitude, ni une garantie de sortir de l’égoïsme. La maternité ne définit pas la féminité : on peut être pleinement femme sans jamais devenir mère. Après tout, au-delà de la seule reproduction, la fertilité peut aussi être perçue comme une métaphore de la créativité, renvoyant à la capacité de mener des projets, de produire des œuvres artistiques ou d’innover. 

Les multiples parcours de vie et la diversité des aspirations ne peuvent se conformer à un seul et même modèle. 

Certaines aspirent à trouver une « ligne de crête » où elles peuvent demeurer fidèles à elles-mêmes et poursuivre leurs passions, sans être réduites à leur rôle de mère. Pour d’autres, devenir mère est une évidence.  

Quant à celles qui ne souhaitent pas avoir d’enfant, les raisons en sont multiples : elles peuvent aller de l’absence même de désir d’enfant à la volonté de ne pas donner naissance dans le monde tel qu’il est aujourd’hui. C’est un choix comme un autre, ni plus ni moins légitime. 

Au lieu de demander à une femme pourquoi elle n’a pas d’enfants, interrogeons plutôt celles qui en ont déjà : qu’est-ce qui les a motivées ? Pourquoi ont-elles fait ce choix ? Le regrettent-elles ou pas ? 

Cynthia

Précédent
Précédent

Ce qu’on retient de la semaine (12/05)

Suivant
Suivant

La dépression - Chronique #3 d'ADT