5 Jul
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Des portoricaines comme cobayes pour la première pilule contraceptive 

Dans les années 1950, est apparu l'Enovid, la première pilule contraceptive au monde.

Ce qui m’a le plus marqué dans cette histoire, c’est le fait que les essais cliniques de cette révolution contraceptive ne se sont pas déroulés aux Etats-Unis, mais plutôt sur l'île de Porto Rico, où des femmes, pour la plupart issues de milieux pauvres, ont ingurgitées de fortes doses de ce médicament sans même être informées de leur participation à une expérience ni des risques encourus. Par ailleurs, j’ai pu lire que trois femmes ont perdu la vie au cours de cette phase d'essai, secrète, sans que leur décès ne fasse l'objet d'une enquête.

La femme derrière tout ça

Getty images

Tout commence avec une femme au nom de Margaret Sanger, une figure majeure du mouvement de contrôle des naissances. Margaret Sanger était une militante prête à défier la loi pour défendre les droits reproductifs des femmes. En 1916, elle ouvrit la première clinique de contrôle des naissances du pays, bravant les lois de l'État de New York. Son procès devint un moment décisif dans l'histoire du contrôle des naissances aux États-Unis, stimulant les chercheurs à trouver des moyens plus efficaces pour aider les femmes à planifier leurs grossesses.

Cependant, je tiens à préciser que le point de vue de Margaret Sanger était teinté d'eugénisme, une théorie qui prônait (prône) la réduction ou l'élimination des populations jugées "indésirables" en contrôlant leur reproduction. Elle croyait que le contrôle des naissances pourrait contribuer à éliminer ce qu'elle considérait comme "la plus grande menace actuelle pour la civilisation" : les personnes vivant dans la pauvreté extrême et celles souffrant de maladies mentales ou de handicaps physiques.

La rencontre

La rencontre de Margaret Sanger avec le biologiste controversé Gregory Pincus marque un tournant décisif. Elle rêvait depuis longtemps de trouver une méthode de contrôle des naissances discrète et quasi infaillible. Gregory Pincus, spécialiste de la reproduction des mammifères, accepta le défi. Elle le présenta à Katharine Dexter McCormick, une philanthrope qui finança l'une des expériences scientifiques les plus ambitieuses - et risquées - du XXe siècle.

À l'époque, le système reproductif féminin demeurait un mystère pour les scientifiques, et les lois strictes réglementant le contrôle des naissances rendaient illégaux la recherche et la distribution. Gregory Pincus et John Rock, un obstétricien, entreprirent en secret de déterminer si la progestérone, une hormone produite pendant la grossesse, pouvait prévenir la conception chez les femmes. En laboratoire, la progestérone avait empêché la grossesse chez les animaux, mais l'interrogation persistait : cela fonctionnerait-il chez les femmes non enceintes ?

Clarence James Gamble, héritier de Procter & Gamble (oui, oui), joua un rôle obscur dans cet essai. Il croyait en l'élimination des populations jugées "inaptes," notamment les Portoricains et les personnes vivant dans la pauvreté, et le contrôle des naissances s'inscrivait dans sa vision. Il fut également impliqué dans les politiques de stérilisation à Porto Rico, où environ un tiers des femmes subirent une stérilisation, souvent involontairement, après la naissance de leur deuxième enfant.

Ces politiques fournirent des "candidates" pour les essais de Gregory Pincus. Les femmes instruites craignaient les effets secondaires, mais les moins instruites cherchaient désespérément à éviter la grossesse et la stérilisation. Gregory Pincus se concentra sur ce groupe de femmes lors des essais cliniques menés dans les quartiers les plus pauvres de San Juan et d'autres villes à partir de 1955.

Le rôle de l’héritier de Procter & Gamble

Clarence James Gamble, héritier de Procter & Gamble (oui, oui), joua un rôle obscur dans cet essai. Il croyait en l'élimination des populations jugées "inaptes," notamment les Portoricains et les personnes vivant dans la pauvreté, et le contrôle des naissances s'inscrivait dans sa vision. Il fut également impliqué dans les politiques de stérilisation à Porto Rico, où environ un tiers des femmes subirent une stérilisation, souvent involontairement, après la naissance de leur deuxième enfant.

Ces politiques fournirent des "candidates" pour les essais de Gregory Pincus. Les femmes instruites craignaient les effets secondaires, mais les moins instruites cherchaient désespérément à éviter la grossesse et la stérilisation. Gregory Pincus se concentra sur ce groupe de femmes lors des essais cliniques menés dans les quartiers les plus pauvres de San Juan et d'autres villes à partir de 1955.

L’essai

Ces femmes savaient que le médicament empêchait la conception, mais ignoraient qu'il s'agissait d'un essai expérimental. Elles ne furent pas informées de la sécurité du produit, et subirent des effets secondaires graves, tels que caillots sanguins et nausées.

Malheureusement, celles qui rapportèrent les effets secondaires furent ignorées et qualifiées d'"inconsistantes". En réalité, ces pilules contenaient des doses d'hormones bien plus élevées que les contraceptifs modernes, provoquant d'importants effets secondaires. Gregory Pincus ne jugea pas nécessaire de reformuler la pilule en dépit de la nausée et de la dépression. Entre-temps, trois femmes moururent lors des essais, sans que l'on sache si ces décès étaient liés à la pilule, car aucune autopsie n'eut lieu.

La forte dose d'hormones garantit presque l'absence de grossesse, et lors des essais sur le terrain, la pilule afficha une efficacité proche de 100 %. Mais Gregory Pincus ne s'arrêta pas là. Un deuxième essai fut financé par Gamble, et les pilules furent même testées sur des femmes et des hommes dans des asiles psychiatriques sans leur consentement.

Lorsque l'Enovid fut finalement approuvé en 1957, il connut un succès immédiat. Les femmes états-uniennes étaient prêtes à accepter des effets secondaires comme les pertes de sang et les caillots sanguins en échange d'une contraception discrète, peu coûteuse et efficace. En 1960, l'Enovid fut approuvé comme contraceptif, marquant une nouvelle ère pour la santé sexuelle des femmes. Cependant, de nombreux effets secondaires de la pilule restent encore mal compris, et la dépression chez les femmes sous contraception commence à peine à être prise au sérieux.

L'ironie de l'histoire

Finalement, l'histoire de la pilule contraceptive est marquée par un motif eugéniste qui a servi à la libération des états-uniennes.

"D'une certaine manière, nous avons effectivement des femmes qui sont traitées comme des animaux de laboratoire afin que nous puissions trouver une forme de contrôle des naissances qui en libère d'autres", a déclaré Jonathan Eig, auteur de The Birth of the Pill, en 2015. "Il y a là une grande ironie".

La liberté offerte par la pilule a eu un prix - un prix que peu de personnes dont la vie a été changée par la pilule reconnaîtront.

💬 Connaissez-vous cette histoire poignante de la naissance de la pilule ?