Betty Davis : sexe, flamboyance et féminisme
Une femme vraiment émancipée est une chose rare à notre époque ou à toute autre, mais découvrir une femme aussi libre que Betty Davis au milieu de la misogynie débauchée de la scène musicale du début des années 70, c'est comme trébucher sur une espèce inconnue.
Alors que la plupart de ses "contemporaines" étaient aux côtés de leurs hommes, Davis se dirigeait de plein fouet vers son propre destin, faisant de la musique que personne n'aurait pu soupçonner.
Betty Davis, née Betty Mabry le 26 juillet 1945 à Durham, Caroline du Nord, États-Unis, est une chanteuse de soul et de funk américaine. Elle fut la seconde épouse de Miles Davis.
Betty a été élevée aux disques de Blues de sa grand-mère, dans une ferme de Caroline du Nord. Elle est née dans une Amérique ségrégationniste.
A 12 ans sa famille déménage à Pittsburgh en Pennsylvanie et à 16 ans elle s'en va pour New-York.
Étudiante à l’institut des techniques de la mode, elle gagne sa vie en travaillant le jour comme secrétaire ou vendeuse.
Pendant son temps libre, elle écrit quelques chansons, dont ‘Uptown In Harlem’, qui sera enregistrée en 1966 par le duo soul The Chamber Brothers sur leur premier album.
Elle travaille ensuite comme mannequin, avec un certain succès : ses photos sont notamment publiées dans les magazines Seventeen, Ebony et Glamour.
Betty Marby n'est pas uniquement l'ex-épouse de Miles Davis
1967, Betty est allée voir un concert de Jazz. Ce qui n’est pas tellement dans ses habitudes. Le jazz l’ennuie, et pas grand chose ne la retient dans ce club de Greenwich Village, à part le trompettiste sur scène. Il s’appelle Miles Davis. C’est une star. Il subjugue beaucoup de femmes dans la salle mais, lui n’en voit qu’une seule.
À la fin du concert, il envoie son garde du corps chercher Betty pour lui proposer un verre. Elle accepte. Betty et Miles se marient dans l’année qui suit. C’est le début d’une union chaotique, violente, incroyablement prolifique pour chacun musicalement, surtout très courte.
“Betty a eu une grande influence sur ma vie et ma musique.” Miles Davis
D'après lui, "elle m'a fait découvrir Jimi Hendrix et me l'a présenté ainsi que les musiciens noirs qui jouaient du rock. Elle connaissait bien Sly Stone et toute cette bande. Notre mariage n'a duré qu'un an, mais cette année pleine de nouveautés et de surprises m'a montré la direction que je voulais prendre. Dans ma musique, comme dans mon style de vie."
Il l'a quitté, car selon ses mots, son épouse est « trop jeune et sauvage » pour lui.
Une carrière controversée
À la suite de sa rupture avec Miles Davis, Betty reprend sa carrière de mannequin, voyageant notamment à Londres, où elle fut l’un des premiers mannequins noirs à défiler. Parallèlement, elle continue à écrire des chansons et envisage de se lancer dans une carrière musicale.
En 1971, elle revient à New York dans ce but, apportant certaines de ses chansons au groupe de « Rock Latin » Santana du guitariste du même nom. L’enregistrement n’a finalement pas lieu. Elle utilise alors ses nombreux contacts dans le milieu de la musique pour former son propre groupe.
Entre 1973 et 1975, elle a sorti les albums éponymes Betty Davis, They Say I'm Different et Nasty Gal - trois albums bouleversants qui ont donné une voix aux idées nouvelles et radicales de la féminité noire.
Pour son premier album, Betty impose d’entrée de jeu sa propre vision d’un Funk qu’elle veut chargé de phéromones, d’ambiances chaudes et moites, imprégné de rock cru.
Dans son look, sa sonorité et, surtout, dans ses paroles, Davis disait sans crainte au monde entier ce qu'elle voulait exactement. En s'attaquant de front aux questions enchevêtrées du sexe et de la politique, elle a toujours eu le contrôle total. Les choses ne lui arrivaient pas à elle, elles leur arrivaient à eux.
"Comment pouvais-je penser au féminisme avec les chansons que j'écrivais ?" dit-elle, en riant. "Je n'ai jamais pensé que les femmes avaient du pouvoir. Nous avions le pouvoir dans la chambre, mais nous n'avions pas de pouvoir politique."
"J'ai écrit sur l'amour, vraiment, et sur tous les niveaux de l'amour", dit-elle. La sexualité en faisait partie. "Quand j'écrivais sur ce sujet, personne n'écrivait sur ce sujet. Mais maintenant, tout le monde écrit sur ce sujet. C'est comme un cliché".
L’album, qui contient quelques morceaux sexuellement très explicites pour l’époque, choque certaines consciences, valant notamment à son auteure les remontrances de la NAACP (Association pour le progrès des gens de couleur), estimant qu’elle représente une « honte » pour les Noirs américains.
Des groupes religieux organisent même des manifestations lors de ses concerts, dont plusieurs doivent être annulés. Le morceau «If I’m In Luck I Might Get Picked Up» est interdit de diffusion dans la ville de Détroit, et de nombreuses radios du pays refusent de le passer à l’antenne. Une station de Kansas City s’attire même de sévères remontrances pour avoir diffusé le titre par accident.
Les stations de radio ont interdit ses chansons, et ses ventes de disques ont été décevantes. Après avoir été abandonnée par son label, Island Records, Davis finit par revenir à Pittsburgh. Des décennies plus tard, lorsque les enquêteurs lui ont demandé ce qu'elle faisait, elle a répondu : "Je ne faisais que vivre" ou "Rien du tout".
Betty Davis et Janelle Monaé : mère et fille ?
Davis est rarement citée parmi les nombreuses influences de Janelle Monáe (Stevie Wonder, Prince, Lauryn Hill), et il est certain que les concepts high-tech, les performances virtuoses et les chansons méticuleusement produites de la jeune chanteuse sont très éloignés de l'esthétique proto-punk de Davis. Mais Jannelle Monáe, elle aussi, est une enfant ambitieuse issue de la classe ouvrière qui a quitté une ville américaine de taille moyenne (Kansas City) pour développer un alter ego féroce (l'androïde rebelle Cindi Mayweather).
"The Electric Lady" fait allusion à "Electric Ladyland" d'Hendrix, mais il cite aussi implicitement la clique de femmes qui a inspiré Hendrix lui-même : ce groupe, appelé les Cosmic Ladies ou Electric Ladies, était dirigé par l'amant d'Hendrix, Devon Wilson et Betty Davis.
Un documentaire sur sa vie : They Say I'm Different
Betty Mabry Davis est une icône mondiale dont la mystérieuse histoire de vie n'a jamais été racontée jusqu'à présent. Mêlant avec créativité les techniques du documentaire, de l'animation et de la non-fiction, ce film retrace le cheminement de la vie de Betty. Après des années d'efforts, l'insaisissable Betty, à jamais la déesse libre du Black Power, a finalement permis aux cinéastes de raconter son histoire de façon créative à partir de leurs conversations.
Dans "They Say I'm Different", plusieurs commentateurs spéculent sur sa disparition de la scène, désignant comme causes probables la mort de son père et ses batailles avec l'industrie de la musique. Il y a aussi des indices de maladie mentale et d'abus intimes qui, comme l'a révélé le mouvement #MeToo, ont affaibli d'innombrables femmes.