Abus sexuel dans l’enfance - Chronique #1 ADT
Attention : Cet article aborde des sujets sensibles liés aux abus sexuel, ce qui peut déclencher des émotions fortes et potentiellement perturber. Nous recommandons la prudence et la sensibilité lors de la lecture.
Quand je leur parle de mon mal-être, ils me demandent de me rapprocher de Dieu. Quand je pleure de douleur, ils me comparent avec la voisine d'en face, en train de lutter contre une maladie incurable. Quand je pousse un cri de désespoir, ils me trouvent bien capricieuse. J'ai tout pour être heureuse, d'après eux. Un travail, un mari aimant et généreux, des enfants à l'abri du besoin. Que demander de plus ?
"Ils" désignent mon entourage proche, principalement composé de personnes d'origine sénégalaise.
Une enfance marquée par un cumul d’événements traumatiques
J'ai longtemps tu mes souffrances, refoulé mon passé d'abus sexuel. Mais là, je ne contrôle plus rien. La maternité m'a rendu folle de rage. Dépressive. Je l'étais déjà avant. Mais, elle était plus ou moins maîtrisée. Moins intense. Avec la maternité, elle est devenue explosive. Avec ma fille dans les bras, je ne veux plus me taire. Je ne peux plus me taire. Je veux qu'on n'en parle.
En premier lieu, avec ma mère. Je lui en ai voulu car elle ne m'a jamais vraiment éduqué en matière de sexualité. Parce que c'est trop tabou au Sénégal, on n'en parle pas. Surtout pas aux jeunes filles censées rester vierge jusqu'au mariage. Si seulement, elle m'avait alerté sur le fait que mon corps m'appartient, et que personne n'a le droit de toucher à mes parties intimes, j'aurais peut-être eu le courage de lui dire que le maître coranique tant adulé par tous, a tripoté mon vagin sans mon consentement. Peut-on d’ailleurs consentir entre 5 et 7 ans ?
Et si je n'avais pas été bercée dans le mythe de la virginité, dans lequel saigner lors de la nuit de noces est une obligation, je n'aurais peut-être pas cru en ce marabout charlatan, qui a profité de ma naïveté pour abuser de moi quand j’avais 16 ans. Parce qu’à 9 ans j’étais violemment tombée. Un saignement génital abondant s’en est suivi. Dès lors, j’étais persuadée que je n’étais plus vierge. Dans mon imaginaire, le premier saignement vaginal, peu importe la cause, est synonyme de perte de virginité.
Des questionnements sur la sexualité, j’en avais. Mais impossible de les adresser à Maman. Elle était froide. Inaccessible. De cette chute, on en parlera jamais. Des années plus tard, j’ai profité d’une rencontre contrainte avec un marabout, pour lui demander si j’étais toujours vierge. Parce que petite, j’ai souvent entendu dire que les marabouts savaient tout. Il me répondra que je ne le suis plus. Puis, il me fait une proposition surprenante. Celle de coucher avec lui pour retrouver ma virginité. J’ai d’abord prétexté avoir mes règles puis accepté sous la contrainte. Il a essayé mais n’a pas réussi à me pénétrer.
J’ai 16 ans et je ne connais toujours rien sur la sexualité. Je peux, à peine, nommer mes parties intimes. Alors, ne me demandez surtout pas, si je sais ce que veux dire avoir des rapports sexuels. Je n’étais pas encore à ce niveau. Et pourtant, j’ai 16 ans.
Je suis en colère contre maman, parce qu'à mes 14 ans, elle décide que j'irai en France sans donner de raison claire. J'étais bien entourée à Dakar, ma ville natale, en compagnie de mes grands-parents paternels, mes frères, mes cousins et cousines, mes oncles et tantes. Dans cette configuration familiale élargie, l'absence de papa, parti s'installer en Allemagne dans les années 80 pour subvenir à nos besoins, ne m'a jamais tourmenté. C'est presque une règle chez nous. Les papas partent en Occident pour chercher de l'argent, et les mamans restent au Sénégal pour s'occuper de l'éducation des enfants. Mon père a vécu la même chose avec son père, parti en France dans les années 50. Avec mon départ, maman a inversé la tendance.
Arrivée en Île-de-France, dans une situation instable, de maison en maison, laissée à mon propre sort, j'ai fait la rencontre de ce marabout violeur chez une tante. Au Sénégal, j'avais entendu parler des marabouts, de leur capacité à prédire l'avenir, de leurs super pouvoirs. Mais je ne les avais jamais côtoyés, tout comme mon entourage proche au Sénégal, encore moins Maman. Étrangement, je découvre cette pratique en France, chez ces dames. La dernière tante qui m'héberge a l'habitude de les recevoir chez elle. Un jour, elle me demande d'aller rejoindre son marabout dans sa chambre. Je ne comprends pas, je ne suis pas demandeuse, mais j'exécute sans broncher. J’en ressors avec un viol qui chamboule encore ma vie, perturbe ma parentalité.
J'en veux à maman pour son éducation à la sexualité basée sur la peur. En effet, elle a abordé la question de la sexualité pour la première fois lors de l'apparition de mes premières règles à l'âge de 12 ans. Je me souviens qu’elle avait tenté de les retarder, en tentant de freiner le développement de mes seins par un massage régulier de ma poitrine. Maintenant qu'elles sont là, elle m'a simplement lancé cette phrase : 'Tu es une grande fille maintenant. À partir d'aujourd'hui, si tu t'approches d'un homme, tu tomberas enceinte !'
J’en veux à Maman de m’avoir fait venir en France, de m’avoir fait vivre cette insécurité permanente. Ce viol que j’ai subi alors qu’un an plus tôt je lui émettais mon souhait de rentrer au Sénégal.
Signé : ADT