
Dans les années 1960-1970, l'État français fait avorter et stériliser des femmes dans les départements d'outre-mer alors même qu'il est interdit d'avorter en France métropolitaine. Tout ça se passera bien sûr avec le silence du mouvement féministe français sur cette question.
Ce livre permet de comprendre pourquoi le scandale des avortements forcés en Outre-Mer n'a pas été au centre des luttes du Mouvement de libération des femmes (MLF) autour de la contraception et de l'avortement; pourquoi ce mouvement si radical, qui a mené des luttes antiracistes, anticapitalistes et anti-impérialistes, n'a pas perçu ce que ce scandale révélait de l'existence patriarcat d'État racial dans la République ; pourquoi il n'a pas pu analyser les avortements forcés dans les DOM comme une gestion racialisée du ventre des femmes.
Par ailleurs, ce livre permet de mieux comprendre l'histoire des milliers d'avortements sans consentement à La Réunion qui est à la fois une histoire locale et une histoire qui s'inscrit dans le champs plus large de la gestion du ventre des femmes noires, de la réorganisation du travail et du capital … et des politiques de contrôle des naissances dans le tiers-monde.
Elle analyse les différentes phases de cette gestion des ventres
À l’origine fut l’esclavage, où le viol des femmes faisait partie du paysage « normal » et ordinaire du quotidien, par les maîtres comme par les autres, puisque le peuplement, alimenté exclusivement par l’immigration, a toujours été majoritairement masculin. Puis s'en suit les politiques de développement post-colonial qui pousse les anciennes colonies à s'inscrire dans le progrès. A l'époque on utilise alors pour explication du sous-développement, la surpopulation.
Justice reproductive
Le récit des Réunionnaises mutilées pose aussi la question de "justice reproductive". Ce terme naît des expériences des femmes racisées. Cette notion intègre la justice sociale et la fin des discriminations raciales... Les avortements sans consentement des Réunionnaises ne sont pas simplement l'histoire d'un abus ou de l'impunité des puissants dans les territoires français d'outre-mer, mais un des exemples de contrôle des naissances légitimée.
Les Réunionnaises qui se battent pour une justice reproductive sont confrontées à un Etat dont le but est de rétablir son contrôle.Il faut insister : le but des politiques de contrôle des naissances n'était pas de contribuer à l'émancipation d'une société qui avait été esclavagiste et coloniale, mais de faciliter l'entrée dans une modernité assimilatrice.
Contrôle de la population
Cela s'est traduit par un contrôle de la population via la natalité d'où les avortements mais aussi des politiques d'émigration : qui a le droit de naître, de devenir citoyen et de travailler.
Entre 1962 et 1984 à la Réunion, la métropole fait face à une baisse démographique. Les départements d’Outre-mer eux, sont frappés par la misère et l’explosion du nombre d’habitants. Pour résoudre ces problèmes, l’État va notamment mettre en place une politique de migration des jeunes adultes et créer le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (BUMIDOM). La promesse d’un avenir meilleur en métropole pour leurs enfants va également être faite à des milliers de familles pauvres et bien souvent illettrées. Ces enfants placés en foyers de l’enfance partiront vers la métropole et certains seront adoptés.Mais ce que l’État ne leur dira pas, c’est que les enfants ne rentreront jamais et seront placés dans des structures d’accueil ou dans des familles, qui, dans certains cas, se révéleront maltraitantes.
Ce contrôle de la population c'est aussi traduit par un scandale dont ont parle très peu et pour lequel justice n'a pas encore été faite : les enfants de la Creuse : Une "enfant de la Creuse" témoigne.
Je recommande ce livre, de Françoise Vergès (Albin Michel, 2017).
Traiter du désir ou non désir de maternité des femmes Noires sans parler du contrôle du ventre des femmes Noires me semble impossible.
Ce livre m'a brisé le cœur mais m'a permis de comprendre à quel point ce système colonialiste et capitaliste dans lequel nous vivons n'a cessé de contrôler le corps des femmes racisées.