
La semaine dernière j'ai été voir le film Bacurau, un film de Kleber Mendonça Filho (le film est encore en salle au Saint André des Arts Paris 5e et à L'archipel Paris 10e).

Synopsis
A la mort de sa grand mère matriarche du village,Teresa revient chez les siens pour découvrir qu’ils sont les derniers a résister à la délocalisation. Lorsque le village va curieusement disparaître de toutes les cartes et que les cadavres vont commencer a s’empiler, ils vont vite comprendre que quelqu’un cherche à se débarrasser d’eux.
Au cœur du sertão appauvri du Nordeste brésilien, si éloigné des centres globalisés, on rencontre des représentants de ce qu’il y a de pire dans le monde contemporain : un safari où les proies sont les pauvres, les femmes, les noirs, les indigènes, la population LGBTQ, les enfants et les bourreaux une bande d'assassins internationaux.
Ainsi, ce film n’est pas le fruit d’une imagination nourrie par le goût du cinéma futuriste ou dystopique, style science-fiction gore, mais bien le résultat d’une précise réflexion politique sur les graves problèmes d’aujourd’hui au Brésil et ailleurs. Plutôt que la figuration imaginaire d’un non-lieu où les gens vivraient sous des conditions oppressives, ce film est l’allégorie, peut-être hyperbolique, de déraisons politiques déjà bien ancrées au cœur de notre temps.

Une scène d'ouverture qui donne le ton
Le film commence sous les airs de la chanson de Caetano Veloso, « Non Identifié » interprétée par Gal Costa. Ce titre est une juxtaposition qui mêle guitare et piano électriques, typiques du rocks et du yéyé des années 1960, de la musique pop d’exportation, avec des instruments d’orchestre.
Cette chanson est tout droit sortie du courant musicale : le Tropicalisme. Il consistait à la juxtaposition et de l’accumulation d’éléments venant de la tradition culturelle brésilienne populaire et de la modernité cosmopolite.
Le village de Bacurau est un lieu où les racines coloniales et autoritaires du Brésil s’allient avec les puissances nationales et internationales actuelles, et déclenchent une violence meurtrière en s’appuyant sur des technologies de pointe aux aspects vintage. Ce n’est donc pas par hasard que l’objet volant non-identifié de la chanson de Caetano Veloso se matérialise dans le drone utilisé par la bande d’assassins internationaux.

« Bacurau », un film de résistance à l'ère Bolsonaro
Tout au long du film, on comprend qu'en filigrane le réalisateur dénonce le pouvoir de Jair Bolsonaro. Il est à noter que le film a été réalisé durant la campagne électorale, avant les élections.
L'ère Bolsonaro consolide les inégalités entre classes sociales et s’attaque aux oppositions : artistes, intellectuels, universitaires, qui exercent leur sens critique et leur liberté de pensée tout comme des réalisateurs comme Kleber Mendonca Filho.
Dans l'histoire du cinéma brésilien, la période de la dictature (1964-1985) fut l’une des plus fructueuses et créatives, et compte des films menant une analyse politique particulièrement juste de ces années difficiles. Bacurau est un film héritier d'une tradition culturelle qui fait écho au cinéma brésilien de la dictature.
Domingas s’approche du véhicule et dit au maire, de façon menaçante : « Si tu la blesses, je te coupe la bite et je l’offre aux poules. » Ce qui dérange la communauté n’est pas la prostitution, mais la violence masculine de l’homme blanc contre la femme noire.
Capoiera avant l'affrontement contre les assassins
Avant la lutte contre les assassins les habitants du village joue à la capoeira.
La capoeira est un art martial afro-brésilien qui aurait ses racines dans les techniques de combat des peuples africains du temps de l'esclavage au Brésil.
Les colons interdisaient tout élément issu de la culture africaine. Pour les occulter les esclaves faisaient passer cela pour une danse folkloriques et non un lutte africaine.
C'est donc une danse clandestine dont il est difficile de situer la date de création.
Les quilombos : une référence sombre que l'on pourrait associer à Bacurau
Dans le Sertão contemporain réel, la présence de personnes noires est très faible pour une question historique : les peuples africains sont restés dans la Zone de la Mata, où ils travaillaient dans les moulins à canne à sucre. Certains quilombos, ont été tout de même bâtis assez loin de la côte.
Bacurau aurait bien pu être un de ces villages. Ce n’est pas un village ordinaire du Sertão car il porte une idée de pluralité comme le reste du Brésil, il y a des gens divers, de toutes les couleurs, venant de tous les coins.
Lunga : le Zumbi de Bacurau

Déjà au début du film le village est en pleine résistance face au préfet, Tony Junior, qui représente ce Brésil blanc et riche qui perpétue les inégalités.
La première scène de résistance débute à l'arrivée du préfet. Les habitants décident de se barricader chez eux pour ne pas l'accueillir. Il arrive donc dans un village fantôme. La deuxième scène a lieu lors du combat final contre les assaillants.
Pendant l'esclavage, Zumbi dos Palmares a mené pendant 14 ans une guerre sans relâche face aux Portugais, lancés dans une opération de destruction du quilombo dos Palmares.
Les colons ont dû s’y reprendre à 16 fois pour parvenir à mater les membres de la communauté, ces derniers étant avantagés par un terrain montagneux qu’ils connaissent parfaitement et une stratégie militaire efficace de guérilla.
En parallèle, le village de Bacurau fait appel au rebelle du village, Lunga, ici incarné par une sorte de voyou trans et illuminé qui est en cavale.
Il va organiser la résistance et aider sa communauté à lutter contre les tueurs.
Lunga ressemble à un indigène, dont les peintures sur le visage et le corps sont faites du sang de ceux qui ont été tué sans pitié.
Il est ainsi une espèce de mémoire collective incarnée : sur son corps et son visage se réunissent les corps et les visages de tous ceux qui, au long de l’histoire du Brésil, auront osé résister par la violence à la domination violente. Il ne sourit jamais et ses sourcils sont toujours froncés, comme s’il était possédé par l’esprit de ces esclaves évadés et de ces indigènes anthropophages qui n’auront jamais voulu faire la paix avec les Européens.
Bref, il incarne l’esprit des vaincus de l’histoire. Lunga est à la fois urbain et paysan, homme et femme, ex-élève avec des dons pour l’écriture et tueur professionnel qui n’épargnera personne quand il s’agit de sauver les habitants du village qui l’a rejeté.
L'histoire de l'esclavage : histoire d'une amnésie collective
Au Brésil, l'esclavage est un fait récent mais effacé par la société.
Dans le film Kleber met en avant l'importance du musée aux yeux des villageois et l'insignifiance qu'elle a aux yeux du reste des brésiliens.
A l'arrivée des touristes blancs du littoral, la responsable du magasin du village les informe de l'existence d'un Musée d'Histoire mais ils ne sont pas du tout intéressés par cette histoire et décline l'offre.
Le musée est cependant un lieu central dans le film car les villageois vont réutiliser les armes du musée lors du combat final et même se servir du lieu comme zone de combat.
C’est bien l’histoire des luttes de résistance du peuple du Nordeste qui est célébrée au Musée.
La communauté villageoise est formée de gens qui sont devenus au fil des années des “parias”, des "invisibles". On comprend alors que ce qui les unit est leur ethnicité, noir ou métis (donc personnes non blanches) puis aussi la pauvreté et l'exclusion.
L'histoire du Brésil commence le 22 avril 1500, à compter de l’accostage du navigateur portugais, Pedro Álvares Cabral sur le rivage de l’actuelle Bahia, situé dans le sud du Nordeste, sur la côte Atlantique.
L’esclavage commence un siècle plus tôt qu’aux États-Unis et dure jusqu’en 1888.
Le Brésil est alors le dernier pays du continent américain à l’abolir et le pays au plus grand nombre d'esclaves : 12 millions de captifs africains expédiés vers le Nouveau Monde finiront au Brésil, contre moins de 500 000 aux États-Uni